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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 12:13

Claude-Leveque--2012--Mort-en-ete--abbaye-de-Fontevraud.JPGAprès le Forum d'Avignon, où 43 nationalités du monde de la culture ont échangé sur «Culture, les raisons d'espérer», il est bon de redire le rôle de l’art, central et critique à la fois.

L’art, on peut en parler indéfiniment puisqu’on ne se risque pas à en donner une définition univoque. Ce qui serait propice à l’exactitude d’une science mais ignorerait une manifestation essentielle de la liberté : celle, insaisissable, de créer. Pour les chrétiens, l’art attise l’espérance. « Que ton règne vienne » adressons-nous à Dieu Notre Père : Adveniat Regnum Tuum. Art en est l’acronyme.  L’art est une expérience sensible qui permet d’unifier la personne : sensations, émotions et pensées avec l’âme. Contempler une œuvre -on dit aussi l’observer ou en être le spectateur-, c’est intégrer l’intériorité à notre réflexion, pour une véritable pensée. Certaines œuvres – les chefs d’œuvre - donnent un avant-goût fugitif de cette espérance chrétienne, promesse de voir Dieu tel qu’il est.

L’art authentique – expérience quasi mystique – blesse, éprouve, fait souffrir et en cela peut initier, petitement, à l’expérience ultime de Jésus sur la croix qui ouvre à la Résurrection. Benoît XVI le rappelle : « Si nous acceptons que la beauté nous touche intimement, nous blesse, nous ouvre les yeux, alors nous redécouvrons la joie de la vision, de l’aptitude à percevoir le sens profond de notre existence, le Mystère dont nous faisons partie… ».

Un exemple ? En 2000 j’ai été bouleversé par une œuvre de Claude Lévêque, intitulée Ende.  Dans la galerie Yvon Lambert où elle était présentée à Paris, il fallait entrer dans un espace totalement plongé dans l’obscurité, où l’on marchait sur ce que l’on devinait être un matelas.  Sans repères, vaguement inquiet, l’on entendait alors la voix d’une vieille femme fredonner un air populaire de Joe Dassin : « Et si tu n’existais pas… » S’adressait-elle à son fils, à un amant, à Dieu ? Une chanson, peu estimée de la culture des élites, ramenée à sa qualité émotionnelle se chargeait de vérité humaine. L’espace d’un instant, cette expérience formellement déstabilisante, un peu angoissante, s’avérait euphorique me rejoignant dans la totalité de mon être. Analogue formel d’une rencontre avec le plus intime de moi-même, avec Dieu ?

Puissions-nous vivre l’expérience esthétique avec intensité, chacun selon notre sensibilité, notre culture et notre foi. L’art exalte alors de meilleur de l’homme où « amour et vérité s’embrassent », où « la nuit à la nuit donne connaissance »


Image : Une oeuvre plus récente de Claude Lévêque : 2012, Mort en été, abbaye de Fontevraud.

 

On trouvera un condensé de cette chronique dans le n° de La Croix daté du 15 novembre : http://www.la-croix.com/Archives/2012-11-15/La-culture-source-d-espoir-pour-les-plus-demunis.-P.-Michel-Briere-aumonier-des-Beaux-Arts-et-de-l-Ecole-du-Louvre-a-Paris-L-art-experience-de-l-esperance-chretienne-_NP_-2012-11-15-876613

 

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14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 10:20

Copie-de-Ben--1978--Les-mouchoirs.JPGDes boîtes entrouvertes dans des vitrines, des diagrammes et des schémas, des grosses sculptures à base de postes de télévision et des petits objets couverts d’écriture… dont celle de Ben, bien connue puisque désormais instrument de marketing. Décevant ? Oui. Et non. Exposer Fluxus, c’est la quadrature du cercle ! On arrive forcément trop tard. Happenings, events, concerts, performances ont eu lieu. C’est fini. Quant aux éditions de boîtes en tous genres elles semblent anticiper nos désormais inévitables produits dérivés. Le Musée d’art moderne Saint-Etienne Métropole a pourtant voulu relever le défi : « Fiat Flux : La nébuleuse Fluxus 1962-1978 ». Avec les moyens du bord, bien moindres que la précédente exposition française de 1995. Il faut dire que le MAC, galeries contemporaines des musées de Marseille, recevait l’expo internationale « In the Spirit of Fluxus » née à Minneapolis et déjà passée par New-York, Chicago, San Francisco et Barcelone.

Maciunas-George--1967-73--Tablier-avec-Venus-de-Milo--Dessi.JPGNam June Paik, après coup, en 1983, prévient : « …ce qui est petit est beau. La rétrospective pompeuse est donc anti-Fluxus. » Certes, l’expo de Saint-Etienne n’est pas pompeuse. Loin s’en faut. On la trouvera même un peu chiche, surtout disproportionnée. A peine une allusion à Joseph Beuys et deux salles pour des œuvres de Nam June Paik datant des années 90 ; hors période annoncée. Mais une belle projection de 41 Fluxfilms dont le superbe  « Sun in your head (television decollage) » de Wolf Vostell (1963) vient compléter une présentation significative de ses œuvres. Rare émotion esthétique ! Parce que Fluxus conteste ce que nous appelons encore œuvres d’art. Alors on nous montre des reliques. Celles d’une époque d’effervescence libertaire ancrée dans les trente glorieuses.

Comment retrouver dans ces bricolages, schémas pseudo scientifiques et gags néo-dada, les intuitions profondément spirituelles et musicales qui ont initié le mouvement ? Paik, encore lui, s’inscrivait dans la pratique du bouddhisme zen, dès octobre 1960, tandis qu’à l’autre extrémité de l’aventure, Robert Filliou meurt en 1987 dans un monastère en Dordogne au cours d’une retraite de trois ans trois mois et trois jours, caractéristique du bouddhisme tibétain. Goûter l’humour de la « spiritualité zen » rendra sensible à « l’esprit Fluxus ». Cet esprit affleure dans la poésie dite concrète, dans une certaine simplicité, dans la critique des folies du marché de l'art et « d’une éthique du non-conformisme, à laquelle, comme le remarque Didier Semin, la plupart des artistes se sont remarquablement tenus » (article Fluxus, E.U). Mi- ermite zen, mi-Diogène le Cynique, chacun à leur manière, Ben et Joseph Beuys, ont incarné cette éthique. Quant aux célèbres 4‘33” de John Cage, elles dérangent encore les conventions du spectacle en y inscrivant la radicalité d’un silence réel.(1) Suscitant malaise du ridicule autant qu’émotion profonde. Bouleversant, dans tous les sens du terme.

« Fiat Flux : La nébuleuse Fluxus 1962-1978 » Musée d’art moderne Saint-Etienne Métropole, 42270 Saint-Priest-en-Jarez, jusqu’au 27 janvier 2013. www.mam-st-etienne.fr

Images : * Ben, 1978, Les mouchoirs.

** George Maciunas, 1967-73, Tablier avec Venus de Milo, Dessin imprimé sur tablier en plastique.

(1). Ecrite pour piano, l’œuvre fut créée en 1952. On peut la voir interprétée en 2004 par le BBC Symphony Orchestra sur www.youtube.com/watch?v=hUJagb7hL0E Essayez !

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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 17:01

Aujourd’hui, je ne regarde plus de la même manière le four à micro-ondes posé sur mon réfrigérateur. D’autant qu’il ne fonctionne plus et que j’ai la flemme de le faire réparer. Je l’appelle : Hitachi/Arthur-Martin. Grâce à Bertrand Lavier et sa série d’objets superposés, avec plus ou moins de bonheur.Hitachi.Arthur-Martin.JPG

Alors, ça valait bien la peine de faire un détour par la rétrospective concentrée que lui consacre le Centre Pompidou : «  Bertrand Lavier, depuis 1969 ».

Certes, l’art y traite de l’art et n’en sort guère. Lavier appartient à cette génération d’artistes qui a pensé qu’on n’était jamais si bien servi que par soi-même. Et que l’art est trop sérieux pour être laissé aux théoriciens, quels qu’ils soient. Seules les œuvres d’art manifestent ce qu’est l’art avec pertinence. Mais Lavier rajoute sa touche – au sens propre comme au sens figuré – sans trop se prendre au sérieux ; et son humour maintient parfois un trouble poétique qui peut susciter un peu plus de rêverie que de théorie.

Prenons « Four Darks in Red » de 2004. Il s’agit d’un film couleur 35 mm sonore transféré sur DVD, de 5 minutes trente-cinq secondes en boucle. Un plan fixe sur le tableau de Mark Rothko qui donne son titre à l’œuvre de Lavier. Mais quel est l’intérêt d’un film ? Et sonore en plus ! Une photo suffisait, non ? Non. Entendre le bruit de la projection attire l’attention sur le temps d’observation du tableau. Combien de temps accordons-nous à l’observation d’une peinture ? Mais sur le temps de la peinture aussi. La peinture serait-elle éternelle ? Seulement, la reproduction d’une peinture, en particulier l’imprégnation pigmentaire des toiles de Rothko, ne fonctionne plus. La reproduction tue l’aura de l’œuvre unique, comme l’avait prédit Walter Benjamin depuis 1936.1 Et interrogeant le temps le film désamorce la présence de l’œuvre, hic et nunc, et son interaction sensible avec l’observateur. Sans commentaire, l’œuvre de Bertrand Lavier peut aider le spectateur patient à entrer dans une telle réflexion en éprouvant d’abord, et bien au-delà, ce qu’elle énonce. Avec ce petit détail qu’en sortant son ombre s’inscrira dans l’image projetée.

1994, Teddy, ours en peluche socléDepuis sa ligne de feuilles d’ampélopsis peintes à l’acrylique (Premiers travaux de peinture, 1969), encouragé par Pierre Restany, Bertrand Lavier peint sur la réalité. Quand il peint un piano ou un panneau il ne les représente pas, il les couvre de peinture de manière à ce que ses larges touches rendent bien visible le geste. Et lorsqu’il socle un skateboard ou un ours en peluche notre quotidien s’inscrit dans l’histoire, comme un masque au musée des Arts premiers. On sourit. C’est futé.

Dérision de la place dérisoire que la culture dominante voudrait imposer à l’art. Bertrand Lavier jouerait-il à l’arroseur arrosé ? Pour nous éclabousser.

2005--La-Bocca-Bosch--canape-sur-congelateur.JPG

Images : * Dans ma cuisine...  ** 1994, Teddy, ours en peluche soclé.  *** 2005, La Bocca-Bosch, canapé sur congélateur.

Bertrand Lavier, depuis 1969. Centre Pompidou, 75004, jusqu'au 7 janvier 2013. Du mercredi au lundi de 11 heures à 21 heures, le jeudi jusqu'à 23 heures. www.centrepompidou.fr

1  Cf. Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée, dans : Ecrits français, Bibliothèque des Idées, nrf, Gallimard, 1991, pp. 141-43.

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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 20:09

Mais non, il n’y en a pas que pour les étudiants des Beaux-arts. Tenez, la preuve, je viens de découvrir le travail de Bruno Albizzati fraîchement diplômé de l’ENSAD (Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) C’est à la galerie du CROUS. Rue des Beaux-arts… On ne se refait pas !

Cette galerie accueille pour quinze jours des étudiants et jeunes diplômés dans un beau volume sur deux niveaux. Toutes les candidatures sont soumises à l'appréciation d'un jury, composé d'enseignants, de galeristes et de critiques d'art. Mais qu’y a-t-il donc de remarquable en ce moment, et jusqu’au 3 novembre ? Il y a le papier, le graphite, la lumière, une sensibilité à fleur de geste, la dissolution et l’apparition des formes, un livre d’artiste plein de délicatesse intitulé « Oraison d’inquiétude » et une petite installation très belle de trois pièces mêlées avec du néon blanc. Tout ça signé Bruno Albizzati.

Que du papier, dans sa simplicité, dans sa crudité de matière aussi noble que triviale, avec ses cicatrices, quelques petites déchirures et une ou deux traces d’un usage précédent. Support des caresses du graphite, de feutres et d’huile. Parfois le verre protecteur d’une telle fragilité encombre de reflets la matité grave des gris et des noirs profonds qui fascinent. Et qui laissent éclater par éclat des éblouissements espérés. Quelques traits colorés, mais si peu de lignes ! Les formes apparaissent, s’évanouissent, affleurent… Au plus près de la sensation. Vous savez bien que le monde se manifeste à nous par une variation continue de l’intensité lumineuse sur la rétine. Il s’y constitue de taches de couleur juxtaposées. C’est la perception qui dessine. C’est le cerveau qui installe des contours nets et nomme ce qu’il a ainsi défini. Ici, Bruno Albizzati nous attend au seuil de la sensibilité que son geste livre, impudique et généreux. Un dessin peu défini ouvre peut-être à l’infini ?

Ah, oui, de quoi ça parle ? Oh, vous savez, ces dessins ne sont guère bavards. Et c’est tant mieux. Ils évoquent, un détail de chef d’œuvre, un visage, quelque bâtiment, un corps… et la lumière. Oui, c’est ça, surtout la lumière.

Je me suis laissé prendre par le jeu subtil de ces Dérives. Avec le sentiment de découvrir le monde à travers mes larmes, mais déjà ébloui par ce jour bénit qui sait ensoleiller les inquiétudes du présent. A qui il est donné d’y croire.

Bruno Albizzati, Dérives, Galerie du Crous de Paris, 11 rue des Beaux-Arts 75006 Paris, 11h - 19h (sauf le dimanche) jusqu’au 3 novembre 2012.

Image : Over-blog ne permet pas en ce moment de publier des images. Pour un aperçu du travail de Bruno Albizzati rendez-vous sur : link

 

Cf. Jacques NINIO, L’empreinte des sens, perception, mémoire, langage, coll. Points, Editions Odile Jacob, Paris, 1991, p.119

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22 octobre 2012 1 22 /10 /octobre /2012 09:50

Pas de chronique cette semaine, mais des photos-souvenirs de la FIAC et de YIA Art Fair.

Tevet-Nahum--gal-Anne-de-Villepoix-.JPG

Au Grand Palais, plaisir de retrouver chez Anne de Villepoix, le travail de Nahum Tevet, perdu de vue depuis 2005 au Quartier de Quimper. Pour info, ma carte de Presse me dispensait de payer les 35 euros prohibitifs de l'entrée...

Dewar et Gicquel (gal. Loevenbruck)

Pas mécontent d'apprendre que le Prix Marcel Duchamp allait à Dewar et Gicquel (galerie Loewenbruck) et donc, qu'on les reverrait l'an prochain à l'espace 315 du Centre Pompidou.

David-Nash--Three-Humps--2011--bronze--Lelong.JPG

Enchanté du parcours FIAC Hors les murs proposé par le Jardin des Plantes, avec une thématique et donc une vraie exposition... et qui plus est, gratuite. (David Nash, Three Humps, 2011, bronze, galerie Lelong)

Laurent-Le-Deunff--2012--Coquillage-et-noix--papier-mache.JPG

Séduit par l'espace du 74 boulevard Richard Lenoir 75011 (déjà découvert pour l'anniversaire de la galerie Jean Brolly) et par la seconde édition de la YIA (Young International Artists) art fair. (Laurent Le Deunff, 2012, Coquillage et noix, papier mâché, ciment, chêne et socle en acier, 31x60x45, galerie Semiose)

Belle semaine !

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14 octobre 2012 7 14 /10 /octobre /2012 18:45

Bertille-Bak--o-quatrieme--Capture-d-ecran-.jpgIl y a une machine un peu vétuste, un monte-escalier pour personnes impotentes, posé là, au début de l’exposition « Circuits » de Bertille Bak. Il y a du bruit de métro et des PILI (plans indicateurs lumineux d’itinéraires), des collections d’objets désuets, trois vidéos projetées, un rideau de bouchons empilés et une grande toile peinte roulée. Mais où est l’art ? Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse. Après tout on est aux confins du document ethnographique, de rapprochements incongrus et de saynètes pour soirées amicales. On découvre, on s’étonne et on sourit : à bon entendeur salut.

Ça ne va pas. Il y a plus. Il faut laisser à la mémoire le temps d’adopter ce que la perception lui a transmis. Les œuvres de Bertille Bak indiquent autre chose que des gentilles farces de potaches ou des documents ethnographiques. D’abord ce sont des traces de performances, je veux dire de patientes rencontres et d’échanges, faits d’empathie et de complicité, voire d’une connivence qu’on ressent riche de sensibilité ; et qui débouchent sur des réalisations communes où fiction et humour servent la poésie. Avec qui ? Des tsiganes et des religieuses !

Qu’est ce que des Filles de la Charité âgées – on dit aînées – du chic centre de Paris ont à voir avec un campement tsigane de la périphérie banlieusarde ? L’usage des bouchons récupérés, vivre en communauté, en retrait. Et même « sur le départ. » Une grande précarité que Bertille Bak habite d’abord puis révèle avec art. Parce que les œuvres de Bertille Bak émanent de cette précarité en la mettant en jeu. Un vrai jeu, ensemble, mais emblématique et décalé. L’une réalise la disparition dans le paysage de ceux qu’on préfère ne pas voir : grâce à la grande toile peinte qu’on peut enrouler et dérouler autour de la roulotte en guise de camouflage. Une autre réalise la montée vers la grande vieillesse par le monte-escalier qui permet à une des sœurs d’inscrire qu’on y est « plus près du Seigneur. »

Ces univers ignorés se donnent sous un autre angle, décalé. Vus du dedans. Où les repères diffèrent des nôtres. Voilà qui ne manque pas d’esprit ! D’Esprit ?

Fabrice Hergott, qui n’est pas l’aumônier du MAMVP mais son directeur - laïc, faut-il le préciser – en intro du catalogue cite Borges qui cite Bloy qui cite saint Paul ; je le cite : « nous voyons à présent dans un miroir, obscurément, mais alors nous verrons face à face… » Votre serviteur qui n’est pas directeur de musée mais aumônier des Beaux-arts – prêtre, faut-il le préciser – se réjouit de découvrir dans le travail de Bertille Bak une sensibilité vraiment singulière à l’approche des précarités des « petites gens », en retrait. Suscités par une artiste comme Bertille Bak, ils sont bien les mieux placés pour nous apprendre à voir moins obscurément une autre vie possible. Une vie toute neuve, qui déjà bourgeonne. Ne la reconnaîtrez-vous pas ? (Cf. Isaïe 43,19)

Bertille Bak, CIRCUITS, à l’ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 11 av. du Président Wilson 75116, jusqu’au 16 décembre. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h Nocturne le jeudi jusqu'à 22h. http://mam.paris.fr/fr/expositions/circuits

Image : * Bertille Bak, Ô quatrième !, capture d’écran.

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9 octobre 2012 2 09 /10 /octobre /2012 10:32

Helmut-Federle--Maquette-du-temple-de-la-serenite--1999-.jpgQuelques bouts de bois et de balsa modestement agencés en une petite architecture très dépouillée s’intitulent : « Maquette du Temple de la Sérénité » (1999). Art et spiritualité d’Orient ont toujours exercé une grande influence sur l’artiste suisse Helmut Federle qui a signé cette œuvre. Celui qui a réalisé le Pavillon aux Poissons pour le tramway d’Orléans, a travaillé avec quelques-uns des plus grands architectes contemporains. Son humble maquette cache probablement quelque affinité avec la sobriété taoïste. Elle invitera au moins à la contemplation qui acceptera de s’y attarder. Plus loin, je regarde attentivement deux vases de porcelaine blanche, presque des amphores, asymétriquement recouverts de noir. Poteries à couvertes, dans la grande tradition de la céramique et présentées dans une vitrine du troisième étage au musée Guimet, elles n’attirent guère l’attention. Pourtant il s’agit d’une œuvre signée Ian Stallard et Patrick Fredrikson, intitulée Vase Ming, et datée de 2004. La couverte n’est en fait qu’une couche de PVC découpée de façon aléatoire. C’est tout. Presque rien. Mais c’est beau cet accord de la noble porcelaine et du trivial PVC. On en éprouverait une harmonie possible, au-delà des genres, des styles, des techniques et des époques.

Le-Fuji-bleu--tirage-monochrome-bleu--aizuri-e--1832-35c-jpgIl faut dire que le musée Guimet reçoit un parcours d’art contemporain : I went, du titre de l’œuvre d’On Kawara qu’on peut voir au second étage. Aucune œuvre n’a été réalisée pour l’occasion. Il s’agit juste d’un choix d’œuvres du CNAP (Centre National des Arts Plastiques) dont l’inspiration émane d’une affinité avec l’Asie. La regrettée Marie-Madeleine Davy disait que chacun possède son « Orient intérieur ». La dizaine d’artistes ici représentés manifestent leur fascination pour tel ou tel aspect d’une sagesse de l’Orient plus ou moins imaginée. Délicatesse, harmonie, étonnement émanent d’œuvres jamais bavardes et ouvertes à la dilatation du temps. Une bonne douzaine d’œuvres qui, reconnaissons-le, ne suffiraient pas à susciter un détour. Pourtant, c’est vraiment le moment d’aller au musée Guimet. On y trouve, en plus du parcours d’art contemporain, un choix d’estampes signées Hokusai, dont quelques une extraites des 36 vues du mont Fuji parfaitement exposées. Et, à côté de ses collections permanentes, une très agréable exposition sur le Thé. Si vous voulez dépasser le plaisir du sachet trempé dans une tasse d’eau bouillante pour deux minutes de pause, allez découvrir les subtils parfums d’un Darjeeling récolte de printemps ou les reflets de jade d’un Gu Zhang Mao Jian, thé vert chinois que je déguste en rédigeant cette chronique. Le tout inséré dans une histoire des déplacements de la culture du thé à travers la diversité des objets qui l’accompagnent et en particulier les bols. A eux seuls, ils symbolisent une aspiration d’union élémentaire, quête de nombreuses sagesses. De terre et d’eau passées au feu, une poterie constitue un vide, réceptacle d’air que le thé vient orner de ses parfums et de ses saveurs. Dans la simplicité d’une forme dont la banalité occulte l’essence.

Musée Guimet 6, place d'Iéna- 75116 Paris. EXPOSITIONS : I Went, jusqu’au 28 janvier 2013. Le Thé - Histoires d’une boisson millénaire, jusqu’au 7 janvier 2013 et Des estampes d'Hokusai jusqu’au 10 décembre 2012

Images : Helmut Federle, Maquette du temple de la sérénité, 1999, balsa bois et plexi

** Le Fuji bleu, tirage monochrome bleu (aizuri-e) 1832-35c

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1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 11:57

01-VG--2012--Le-lit-bleu.jpgLa galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre 75008 m’a demandé de lui conseiller des jeunes artistes ainsi qu’un artiste confirmé. Guillaume Sébastien en a sélectionné trois, et j’ai souhaité qu’une vidéo s’inscrive dans l’exposition. Voici donc un échantillon du travail de quatre jeunes artistes engagés dans les tensions de la création artistique actuelle. Ils ont moins de 35 ans, vivent en région parisienne et sortent de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris. L’art oriente leurs préoccupations et leur vie tout entière.

Ils pratiquent la peinture, l’installation, la vidéo, le dessin. Ils ne reviennent pas à la figuration, ils l’arborent fièrement parce qu’elle s’impose. Au présent. Pas de soi disant « retour en arrière ». Dans la prolifération d’images urbaines et virtuelles, ils ne fuient rien, sinon la rumeur et les bavardages. Ils dialoguent avec le silence, en quête de l’essentiel, à la fois phusis, la nature, et logos, la parole, le sens. À l’instar de Jean-Baptiste Ambroselli, humble maître invité au centre de ces jeunes et témoin d’une fidélité dans la continuité de ruptures qu’est l’histoire de l’art.

Leur travail inquiète notre espace avec le temps, celui de notre observation par celui de leur réalisation. Ils fondent au mieux l’hospitalité réciproque entre expérience artistique et expérience esthétique nécessaire à l’œuvre.

Emblématique, la durée du plan fixe d’Anne-Charlotte Finel qui travaille notre relation à la réalité ; avec art.

Pour cette exposition, tous rejoignent la question du tableau contemporain.

Qu’est-ce qu’un tableau ? C’est un objet plan, support d’une image dont l’ensemble, l’ordre et l’aspect, perceptibles d’un coup, font impression et agissent dans l’espace réel de perception. Accueillant ce dépouillement bidimensionnel, un tableau contemporain ignore le flux des actualités, la succession des modes et leur communication. Dans la Bible, la contemporanéité par excellence se donne comme le temps messianique, l'être contemporain du Christ que Paul appelle le « temps du maintenant » (ho nun kairos). « Non seulement ce temps est chronologiquement indéterminé mais il a la singulière capacité de mettre en relation avec lui tous les instants du passé : il fait de tout moment une préfiguration. » La dimension prophétique de l’art exige une telle contemporanéité. Chacun à leur manière singulière et à leur insu, autour de Jean-Baptiste Ambroselli, Anne-Charlotte Finel, Valentin Goethals, Filip Mirazovic et Sarah Pignier tendent à accomplir cette exigence.

 

Souhaitons-leur un long et beau chemin. En vérité.

Cf. Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que le contemporain ? », Rivages poche/petite bibliothèque, Paris, 2010.

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24 septembre 2012 1 24 /09 /septembre /2012 17:11

Vous connaissez Le Patio à deux pas de l’Opéra Garnier ? Depuis le début de l’année, des expositions y complètent l’activité du bar-restaurant. Dans le Studio, au 1er étage, 200 m2, et dans l’Abri, 100 m2de caves voûtées. Les expositions y tournent vite – une dizaine de jours : jusqu’à la fin de la semaine, y est exposé le travail de Jeremy Liron intitulé : Le récit absent par Art Collector. C’est un concept inédit de promotion des artistes français grâce à leurs collectionneurs. Portée par un couple, Evelyne et Jacques Deret, l’initiative cherche à faire connaître et à promouvoir un jeune artiste français, en même temps que sa galerie présente son travail le plus récent. Ainsi la galerie Isabelle Gounod, sous le titre L’Inquiétudepropose, mais jusqu’au 27 octobre, d’expérimenter la peinture de Jérémy Liron. Et c’est une expérience riche et vraie !

Le première approche peut déconcerter, voire rebuter. Les tableaux semblent  répertorier ce que l’architecture du siècle dernier à produit de plus froid : béton blanc et baies vitrées découpant l’espace en portions orthogonales. Pas âme qui vive dans les tableaux de Jérémy Liron. Et voilà qu’en plus chaque toile est protégée par une vitre ou un plexiglas qui recycle soigneusement en reflets gênants les néons de la galerie. Tiré de ma quiétude de spectateur, un rien agacé, je recherche un bon "point de vue"…

Pourtant, je continue de regarder : un tableau n’est pas une pub. Il sollicite ma participation, patiente et attentive. Le polyptyque que j’observe, Paysage 110, est composé de six toiles carrées, chacune d’1,23 x 1,23m, encadrée sous plexi. L’œuvre elle-même ressemble à une large baie vitrée. Et c’est justement ce qu’elle représente : l’intérieur d’une pièce donnant sur un balcon ensoleillé laissant apparaître le faîte d’un gros arbre qui occulte un bout de ciel bleu uniforme. Le reflet de l’espace de béton blanc dans lequel je me trouve, la galerie, se superpose à la peinture ou bien s’y mêle comme un filigrane. Je ne suis plus devant une œuvre d’art mais dedans. D’habitude on appelle ça une installation. Superbe !

Depuis le De Pictura de Léon Battista Alberti paru à Florence en 1435 la peinture occidentale s’est comprise comme une fenêtre ouverte sur le monde et son histoire. Mais depuis ses origines elle cherche à composer avec ceux qui la contemplent par divers procédés. Les œuvres les plus abouties associent physiquement les images mentales du regardeur à la production d’images gorgées de sens pour leur époque puis au-delà, pour chacun. Le Paysage 110 de Jérémy Liron me ramène à ma solitude et à ma vision fragmentaire d’un monde où tout est devenu pluriel et spécialisé : les cultures, les publics, etc. L’absence d’un récit commun y suscite l’inquiétude. Et moi qui regarde, qu’est-ce qui fait mon unité ?

Dieu merci, dans le monde, nous ne sommes pas du monde (Evangile selon saint Jean.17,6.14-16). Et nous connaissons le récit qui fait notre unité. Dieu merci.

Jeremy-Liron--2012--Paysage-110--h.t--246x369.JPG

 

Image : Jérémy Liron, 2011, Paysage 110, huile sur toile, 246x369 (cliché MB)

 

Jérémy LIRON, né à Marseille en 1980, vit et travaille à Lyon depuis 2008. Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieur des Beaux-arts à Paris en 2005. Exposition « L’inquiétude » à la Galerie Isabelle Gounod (13 rue Chapon 75003 Paris ; 01 48 04 04 80 - www.galerie-gounod.com) Dans le cadre du projet Art Collector : des collectionneurs invitent un artiste, « Le récit absent » au Patio-Opéra, 5 rue Meyerbeer 75009 Paris

 

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16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 18:26

« cjskx » Ne cherchez pas à prononcer. C’est le titre de la dernière exposition de Nicolas Guiet chez Jean Fournier. Et les œuvres s’y intitulent : efjgoe, gipqwm ou encore guuisoq. Des suites de lettres, peut-être pas autant dues au hasard que l’artiste veut bien le dire : « Les titres résultent de frappes incohérentes, aléatoires sur un clavier et, nomment simplement les pièces sans en orienter la lecture. » Ces titres s’avèrent en tout cas en parfaite adéquation avec les œuvres en ce sens qu’elles sont abstraites, semblent dénuées de toute signification et se donnent comme une variation ludique sur un principe de base.gipqwm--acryl.t--chassis-en-bois--120-5x233x239.jpg

On se dit que ça va lui passer. Eh bien non, ça ne lui passe pas.

Depuis une dizaine d’années, imperturbablement Nicolas Guiet continue de tendre dans les coins et les recoins des lieux qu’il investit, du sol au plafond des toiles colorées plus ou moins vives, surtout pas dramatiques, vous voyez, entre barbe à papa, bleu Schtroumpf ou peau de banane. Et ce qui m’étonne c’est que ça m’intéresse. Je voudrais bien comprendre un peu pourquoi.

Il y a d’abord les coins. Ces ruptures de plan, concaves ou convexes, que Nicolas Guiet remet à l’honneur en leur offrant des protubérances ludiques et colorées. Les œuvres ne profitent pas du volume de l’architecture elles en soulignent les arêtes. Elles en interprètent les relations. Le white cube de la galerie ne sert pas les œuvres ce sont les œuvres qui viennent « titiller » la blancheur et les parois orthogonales du white cube. Elles animent. Est-ce qu’elles donnent une âme pour autant ? Elles m’invitent au moins à habiter autrement l’architecture, sans asservissement ni crainte de m’en jouer.

llhvc--acryl.t--chassis-en-bois-acryl.t--chassis-en-bois-.jpgIl y a ensuite, toujours appuyés sur des coins, ces châssis qu’on devine complexes au point de les imaginer comme des sculptures cachées par la toile tendue dessus. C’est du Christo de poche, sans les plis ! Et la toile elle-même dont la tension crée des formes inattendues, courbes elliptiques ou paraboliques dans les cas les plus simples. En induisant la forme originale de l’œuvre, le châssis caché prend une importance comparable à celle de la toile superficielle. J’aime cette singulière manière d’offrir la sempiternelle tension entre le caché et le montré en art.

Quand on entre dans la galerie, on passe entre deux toiles tendues qui gardent une affinité avec le tableau. Efjgoe pourrait même passer pour un monochrome sur un support au design du siècle dernier. Une surface jaune se distingue encore de son pourtour vert menthe dans gipqwm. Mais toute référence au format tableau s’évanouit  dans les œuvres suivantes qui s’apparentent désormais à la sculpture, voire à l’installation si on tente de recevoir les œuvres en un réseau, un environnement.

Ah oui, j’allais oublier. Il y a un plaisir tout simple à se laisser prendre et surprendre par les formes colorées de Nicolas Guiet. Comme une récréation.

La galerie Jean Fournier, 22, rue du Bac 75007 Paris présente « cjskx » de Nicolas GUIET jusqu’au 6 octobre 2012. Tél : 01 42 97 44 00. www.galerie-jeanfournier.com

 Images : * gipqwm, 2012, acrylique sur toile, châssis en bois, 120,5x233x239.

** llhvc, 2012, acrylique sur toile, châssis en bois, 98x47x29

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