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15 mars 2013 5 15 /03 /mars /2013 09:15

L-artiste-et-son-modele.jpgRegardez. Conception de l’image, de la forme. Là se fécondent deux mondes hétérogènes, la réalité charnelle du vivant et le geste créatif, par la grâce de l’esprit, intelligence et lumière pénétrante. A la distance d’un regard, analogue au nôtre devant l’écran.

Deux films sortis cette semaine, Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, et L’artiste et son modèle de Fernando Trueba ont pour personnage principal un sculpteur. Deux films d’auteurs où les acteurs éblouissent : Juliette Binoche, Jean Rochefort et Aïda Folch avec la joie de revoir Claudia Cardinale. Deux films quasiment sans rebondissements, sans musique ; deux films contemplatifs ne durant qu’une centaine de minutes. Loin des produits de consommation courante, ils indiquent l’essentiel au sein même de leur narration circonstanciée. Là s’arrêtent les ressemblances.

Dans Camille Claudel 1915 Dumont - toujours austère - approche Juliette Binoche comme Bresson ses modèles ; sans fards. Dépouillée, mêlée à la réalité des malades mentaux, l’actrice irradie comme on aime à imaginer la sculptrice. Dans un terrible plan séquence braqué sur son visage, lors de sa visite hebdomadaire au vieux médecin, elle parle tour à tour lucide, sincère et débordée par son chagrin. Les sommets de l’art confinent nécessairement au sacrifice. Anormal comme l’écrit crument Claude Lévêque, l’art authentique déconcerte, inquiète, forcément. Jusqu’à faire souffrir, l’artiste bien sûr mais aussi l’amateur disponible. Paul, le grand frère que le réalisateur suit dans la dernière partie du film, jeune consul bardé de certitudes catholiques apparaît bien dénué de vertus évangéliques. Et la quête mystique, constante interrogation du réalisateur, transparaît davantage dans les tourments de l’artiste recluse. Le plan final plein de délicatesse capte son visage dans un soleil matinal et printanier, ébauchant un sourire. Le film approche non sans audace mais modestement le mystère du génie créatif dans la fragilité de la chair.

Dans L’artiste et son modèle, de facture plus classique, Trueba épaulé d’un magistral chef opérateur, a modelé le noir et blanc par les caresses et les éclats d’une lumière méridionale. Toute la gamme de ce camaïeu de gris illumine des images construites au cordeau. Le film ne traite pas de l’art comme d’un sujet. Il en fait éprouver avec beaucoup de sensibilité des composantes essentielles : le regard visionnaire opposé au regard voyeur des curieux, l’idée qui naît lentement de la perception sensible et de l’émotion, les péripéties de l’Histoire contre la concentration du créateur solitaire… l’esthétique et l’éthique de ces derniers jours d’un sculpteur octogénaire qu’un gradé allemand esthète admire s’imprègnent par moments d’amour fidèle et de troubles du désir. Hymne au corps de la femme, la beauté vitale et vivifiante y côtoie la mort choisie. Au cours d’une séquence délicieuse l’artiste raconte la Genèse à sa manière et montre à sa jeune modèle qu’évidemment Dieu a d’abord créé la femme.

Encore sous le charme de ces deux films, je les signale en craignant que la critique dédaigne ces deux œuvres trop sobres pour alimenter le tintamarre médiatique. Certes, ces deux films n’ébranlent pas les bases du Septième art mais ils osent mettre leurs images en résonnance avec une grâce nécessaire, celle que l’art transmet singulièrement.

Camille Claudel 1915, Bruno Dumont, avec Juliette Binoche, J-Luc Vincent, et personnes handicapées mentales. 95’.
L’artiste et son modèle, Fernando Trueba, avec Jean Rochefort, Aïda Folch, Claudia Cardinale, noir et blanc, 105’.

Image : * Capture d’écran extraite de L’artiste et son modèle.

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commentaires

D
Tu sais comme Dumont m'effraie. Mais ton bel article, et Binoche, me rendent curieuse...
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L
<br /> <br /> As-tu satisfait ta curiosité ?<br /> <br /> <br /> <br />