Une sculpture monumentale posée au sol, sans socle, s’appuie contre un mur de pierre, à l’aplomb d’un oculus et sur le rebord d’une fenêtre. Je vois quatre volumes de base carrée, en bois de récupération, plaqué, agrafé et par endroit teinté de rouge-rosé. Ils se croisent dans un maelstrom central de volutes organiques.
L’impact sensoriel de l’œuvre inquiète le cours de l’observation. J’en éprouve comme une puissance tellurique, due à l’impression de choc des quatre volumes, mais assagie par une certaine douceur du matériau. Je remarque les modifications formelles qui font passer un aspect de caisses triviales aux circonvolutions de leur éventuelle fusion. Force centripète d’une implosion ?
Nous sommes au fin fond des Bernardins. Dans un coin. L’œuvre que j’observe déploie sa force avec discrétion centrée dans la travée extrême de la nef. Aucun cartel ne vient troubler la perception. Cette heureuse frustration recentre l’attention sur l’œuvre elle-même et l’expérience sensible, seul fondement d’une authentique connaissance. Un tel choix de scénographie contraste avec le haut lieu de discours et de doctrine catholique qui abrite la faculté Notre-Dame et l’Ecole cathédrale.
Au mur, un chiffre renvoie à quelques renseignements sur des feuilles agrafées, gratuitement disponibles. Et curieusement titrées : « Les artistes présentés (15 février – 18 avril 2013) ». Je n’ai pas vu d’artistes ; que des œuvres juxtaposées sous un titre qui voudrait les unifier : « L’arbre de vie ». J’y trouve le nom de notre sculpture, Transsubstantiation. Sa date de création, 2013, me révèle une des cinq œuvres réalisées pour l’occasion. Et le nom de son auteur, Henrique Oliveira dont le travail avait parasité la galerie G-Philippe et Nathalie Vallois, par de monumentales protubérances ligneuses en octobre 2008. En 2011, Henrique Oliveira transpercera la project room du sol au plafond par une colonne torse. Toujours cette puissance de l’organique figurée par le patient travail d’une sorte de contreplaqué usé par les intempéries et récupéré des palissades (Tapumes) de favelas… Transsubstantiation rapproche le changement eucharistique du pain et du vin en Corps et Sang du Christ de la métamorphose poétique de cette forme croisée faite du pauvre bois des pauvres en une riche œuvre d’art gorgée de sens. Et ce grâce aux métamorphoses du géométrique en l’implosion d’un bouillonnement chaotique, ou inversement dans la croissance de l’obscur organique vers la lumière du jour et de l’Esprit.
Un peu méfiant à l’égard des expositions thématiques, de bric et de broc ou démonstratives, et des illustrations d’idées – quelles qu’elles soient – j’ai rencontré aux Bernardins deux ou trois autres œuvres qui émeuvent la pensée, à l’instar de la Transsubstantiation, en particulier dans l’ex-sacristie. En-deçà de nombreuses brillantes explications, par la grâce d’une hospitalité réciproque, la force d’une seule œuvre authentiquement inspirée peut rejoindre ma foi et me nourrir du Mystère qui l’anime. Et vous ?
L’Arbre de Vie, du 15 février au 28 juillet 2013, Une exposition collective en deux temps (renouvellement d’une partie des œuvres le 18 avril) : Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy 75005. http://www.collegedesbernardins.fr/index.php/art/arts-plastiques.html
Le travail de Henrique Oliveira http://www.henriqueoliveira.com
Images : * s.t (de la série Tapumes), 2008, contreplaqué et PVC, 3,2 x 6,2 x 0,9 m, Galerie Vallois,
** Transsubstantiation, 2013, contreplaqué (dimensions non communiquées).