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3 juillet 2012 2 03 /07 /juillet /2012 14:55

The-emergency-will-replace-the-contemporary.JPGVenez, entrez avec moi dans l’un des premiers musées d’Europe. Une fois dans le hall d’entrée je regarde de chaque côté. A gauche une immense salle vide. A droite, symétrique, une immense salle vide. A gauche je distingue au fond une petite table. Et un son qui provient d’une petite salle annexe. Elle est vide, à l’exception de deux enceintes. Une litanie semble devoir éternellement répéter : « I’ll just keep on… ‘Till I get it right. » Tiens, il y a un cartel : il s’agit d’une œuvre de Ceal Floyer, artiste que j’avais repérée à la Biennale de Venise pour une installation photographique : une gigantesque projection de la diapo d’un… bonsaï !Floyer-Ceal--Overgrowth--2004--Biennale-Venise-09.JPG
Je rejoins l’autre salle symétrique en resserrant mon col à cause d’un courant d’air plutôt désagréable par le temps frais et humide qui règne. J’hésite, je reviens vers le hall quand j’aperçois un autre cartel. En fait, le courant d’air est une œuvre. De Ryan Gander et intitulée : « I need some meaning I can memorise (The invisible pull) ». Bon. Je franchis une porte et je distingue à travers une vitre une nouvelle salle remplie, elle, de multiples objets soigneusement exposés. Sur la vitre une inscription de Lawrence Weiner : « The middle of… » Serai-je au centre de l’exposition ?
Bienvenus à Cassel en Allemagne ! Vous venez d’entrer dans le Museum Fridericianum, point de départ de la plus importante exposition d’art en ce moment : dOCUMENTA (13). Il s’agit bien d’une exposition et pas d’une foire. Plus de 150 artistes de 55 pays exposés 100 jours, jusqu'au 16 septembre, dans les principaux bâtiments de Cassel, ainsi que l’un des ses parcs. Cette capitale de district de la Hesse, située à moins de 20 kilomètres de l’ex-camp de concentration de Breitenau, accueille la Documenta tous les cinq ans. Mais dOCUMENTA (13) se déroule aussi à Kaboul, Alexandrie ou Le Caire, et à Banff au Canada.
Un peu d’histoire. A l'origine, Documenta 1 vit le jour en 1955. Arnold Bode et Werner Haftmann, l’imagine pour donner à la jeune génération de découvrir non seulement l'art contemporain, ses tendances et ses formulations, mais aussi l'art d'avant guerre dont le régime nazi avait interdit toute diffusion. La périodicité fut d’abord arrêtée à quatre ans. C’est en 1972, avec la Documenta5 signée Harald Szeemann que la périodicité est portée à 5 ans et que l’exposition acquière une portée sociale et politique en particulier avec Joseph Beuys et son emblématique « Bureau pour la Démocratie directe ». Faut-il voir en Europe une sorte de partage ? À la Biennale de Venise les artistes du marché international, à Cassel, l'Internationale des révoltes et des luttes ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode.

(à suivre)

Images : * La Friedrichplatz de Kassel.
**  Floyer Ceal, Overgrowth, 2004, Biennale Venise 09

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25 juin 2012 1 25 /06 /juin /2012 06:54

Barque-miroir.JPGSemaine après semaine je vous ai signalé expositions, événements, œuvres. Serait-ce de la propagande pour une abondante consommation de produits culturels ? Dieu m’en garde ! Les œuvres d’art - sans date de péremption - sont impropres à la consommation. On ne se laissera pas entrainer par le main stream dévastateur qui veut faire passer objets décoratifs ou déchets enrobés de discours pour des œuvres d’art.
Certes, tout est mutation et nos goûts évoluent mais que notre discernement s’aiguise ! L’intime entretien avec une œuvre ne varie pas à la petite semaine ! Il s’enrichit sur un rythme très lent qui n’intéresse guère les marchands de pacotille du temple de la culture.
Je reviens donc encore une fois à la barque miroir de Marc Couturier visible pendant tout l’été au musée de la Chasse et de la nature. Ou plutôt c’est cette demi-barque scellée dans un grand miroir qui me revient : elle a encore et encore beaucoup à me suggérer. Sur la réalité qui ne peut s’élever que par son jumeau de reflet. Sur la traversée du miroir qui sépare les mondes extérieur et intérieur. « La barque de Caron va toujours aux enfers. Il n’y a pas de nautonier du bonheur » écrivait Gaston Bachelard dans L’eau et les rêves. Mais les croyants lui répondent avec l’Evangile que dans le vaisseau de la foi le Christ lui-même, notre jumeau mystique nous conduit au Père. Sans ce nautonier du bonheur nous sommes incomplets.

En ce début de millénaire, il y a deux enjeux majeurs à notre active participation à l’aventure esthétique du sens en art : à la fois inculturer l’Evangile et évangéliser les cultures.
Inculturer l’Evangile ? L’Eglise perçoit de mieux en mieux des échos inattendus du cœur de l’Evangile au sein de la création artistique. Par la liturgie ainsi que par l’art même de Jésus, fait de paraboles et de signes sensibles, l’Eglise cultive sa pensée par analogie et sa propre créativité poétique. Ce que l’Esprit Saint met en œuvre dans l’art contemporain peut ainsi féconder son discernement des germes du Règne de Dieu.
Évangéliser les cultures ? Dans un mouvement d’hospitalité réciproque la culture contemporaine accueille le génie propre de la foi chrétienne : elle peut reconnaître le nom vivant d’une dimension spirituelle souvent confusément perçue ; et la grâce en lieu et place du hasard.
Cet échange animé par l’Esprit Saint suscite liberté jubilatoire, consolation et guérison, dans le dynamisme initié par le Bienheureux Jean-Paul II qui désirait (je le cite) « aider l’Eglise à vivre l’échange salvifique où l’inculturation de l’Evangile va de pair avec l’évangélisation des cultures. »

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22 juin 2012 5 22 /06 /juin /2012 18:06

Les librairies ferment. Vous savez ces petites librairies où vous discutiez avec le libraire qui connaissait vos goûts et savait vous conseiller le dernier James Ellroy ou tel petit volume de Jean Echenoz qui avait échappé à votre vigilance (en l'occurrence : « L'occupation des sols » que je vous conseille vivement.) Les librairies ferment et maintenant, vous allez chercher de la BD, du roman noir ou le texte de votre prochaine pièce de théâtre dans un de ces hypermarchés de la culture où, au rayon religion, on trouve une Bible coincée entre une prédiction millénariste et un traité de magnétiseur. Les librairies ferment et au centre de Paris elles sont remplacées par des marchands de luxe. Les librairies ferment ? Eh j'en ai repéré qui ouvrent. Je répète : il y a dans Paris des librairies qui ouvrent. Exit la vitrine de haute couture au coin de la place St Germain des Prés et de la rue Bonaparte, la librairie La Hunevient d'y ouvrir une succursale. De même que Mediaspaul au 28 de la rue de Chateaudun dans le 9ème arrondissement où j'ai pu acheter mon agenda universitaire Prions en Eglise ; on est allé me le chercher pour me le remettre avec un sourire.Les-Arpenteurs.jpg
Mais la cerise sur le gâteau se trouve aussi dans le 9ème. Au 9 de la rue Choron. Un ami m'en avait parlé avec délectation. La librairie s'appelle « Les Arpenteurs ». Un bijou de petite librairie de quartier comme on les aime. Avec un accent mis sur la jeunesse et l'illustration, et sur la photographie. Ça fourmille d'événements, de rencontres, de signatures et de lectures, surtout pour les enfants : les nounous viennent avec les petits qui se laissent embarquer, le pouce dans la bouche et les yeux dans le vague.
Après trois ans de réflexion, de recherche, et soyons clairs, d'étude de marché, ils ont ouvert. Ils sont deux, Pierre et Valérie passionnés de livres et d'images. On a l'impression qu'ils ont tout lu. Leurs coups de cœur sont marqués d'une figurine d'arpenteur et elles peuvent vous en parler ! Ce que ça raconte, le style, et même ce que ça leur a fait vivre. La tchatche, c'est leur truc. Ce n'est pas une librairie, ni le salon de Mademoiselle de Scudéry mais c'est un lieu singulier, un lieu d'échange, d'écoute : un lieu de culture qui sent bon la page cornée et la colle de reliure. Un lieu qui, tout simplement, donne envie de se remettre à lire.
La Librairie LesArpenteurs, se trouve 9 rue Choron dans le 9ème arrondissement, elle est ouverte du mardi au samedi de 10h à 20h et le dimanche jusqu'à 13h.

www.facebook.com/pages/librairie-Les-Arpenteurs/108071795890460

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10 juin 2012 7 10 /06 /juin /2012 09:42

Marc-Couturier-Chasse-Nature-juin-12-copie-1.JPGPigeon ? vole ! Duvet ? Vole ! Bateau ? Vole ! Mais non, les bateaux ça ne vole pas ! Si si vous allez voir. Où ça ? Au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris. Ça vous étonne hein ?! Il y a des magiciens qui font voler les bateaux et quand il s’agit de Marc Couturier la magie se fait poésie et l’on va d’émerveillement en exclamation.
Marc-C-N-D-de-Paris-Croix-et-gloire.jpgOuais, mais… y a un truc ? Oui, ça s’appelle l’art. Dans le travail de Marc Couturier beaucoup d’éléments semblent planer, si légers, comme en lévitation. Là, c’est une brave barque de pêcheur en gros bois plein d’histoires ; à Notre-Dame, c’est la gloire au-dessus de la Croix ; ailleurs ce sera une de ces lauzes dont on recouvre les toits en montagne. Cézanne est un artiste de la terre, Monet est un artiste de l’eau, Couturier, lui, son élément, c’est l’air, c’est l’espace, c’est la clarté. Dans la pièce précédente, au rez-de-chaussée de la maison de la chasse et de la nature, en plusieurs nuits, Marc Couturier a dessiné sur les murs un environnement total. Comme Monet à l’Orangerie avec ses derniers Nymphéas. Exactement. Mais là c’est uniquement du dessin, des lignes tracées très librement à la mine de plomb, dans tous les recoins mais en laissant un mur immaculé, éblouissant d’une « lumière primordiale » : c’est le titre. Du rythme et du geste répétitif – proche de l’écriture automatique - nait l’évocation de figures, là un chemin dans la broussaille, ici les troncs de jeunes arbres, mais tout m’a semblé orienté vers la lumière. Comme une rencontre diaphane entre la fatigue du labeur de l’artiste et le don du Créateur. Dieu ! À ce point-là ?! Mais l’exposition s’appelle « Le troisième jour » ! C’est le troisième jour de la création : « Dieu dit : que la terre se couvre de verdure, d’herbe et d’arbres fruitiers… » Et Marc Couturier nous offre cette évocation d’une présence improbable à l’aube du Paradis, au centre de la Création, avant celle de l’homme !Marc-C.-Chasse-Nature-w.d.JPG
Ces deux pièces, parmi d’autres, requièrent un silence liturgique en échange de leur ouverture à la contemplation. D’autres œuvres sont à l’affût de la grâce comme ces paysages acheiropoiète – non fait de main d’homme - offerts par la patine des douves de tonneau dites « douelles de foudre » ou par l’humidité dans l’épaisseur d’une simple planche. Marc Couturier les révèle et les relève en les accrochant au mur leur conférant une dignité neuve. Cela s’appelle « un redressement ».

Marc Couturier, « Le troisième jour », Musée de la Chasse et de la Nature, Hôtel de Mongelas - 62, rue des Archives à Paris dans le troisième arrondissement. Jusqu’au 2 septembre.                                          Très belle semaine !

Images:

* Barque miroir, 2002, coll. CNAP, Paris
** N-D de Paris, Croix et Gloire 1994-96
*** Troisième jour (Wall drawing), détail, 2012, M. de la Chasse et de la Nature 

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 10:58

Je vous raconte ma visite de la galerie Louis Carré où sont présentées les dernières œuvres de François Boisrond.

2012--Jeune-fille-nue-assise-au-bord-d-un-bassin--acryl.t--.JPGFace à moi, un tableau de taille moyenne peint à l’acrylique, il représente le corps d’une jeune femme nue assise au bord d’un bassin. Flou et précis à la fois. Il est composé d’une superposition de petites flaques de couleurs pastel : rose poudré, saumon, jaune beurre frais, mauve, céladon. Pas de dessin, pas de lignes : tout est touches de couleur. Cette touche apparait comme un dépôt de matière avec la petite boursouflure que produit la consistance crémeuse de la peinture. C’est appliqué, dans les deux sens du terme. Neutre.
Alors que le titre de cette exposition de François Boisrond est « Avec Passion »
C’est qu’il s’agit, avant tout, de représenter. Et les sujets des autres tableaux renvoient bien aux grands classiques de l’histoire de l’art. On reconnait même L’entrée des croisés à Jérusalemde Delacroix. Mais très vite on s’étonne de la présence d’un projecteur par ci, d’une grosse caméra de cinéma par là, voire d’un monsieur en cravate. Il s’agit donc du tournage d’un film reproduisant ces tableaux. Ce que Jean-Luc Godard a réalisé dans son film Passion. La voilà donc la Passion évoquée par le titre de l’exposition des peintures de François Boisrond. Mais les petites flaques de peinture décrites plus haut pourraient s’inspirer d’une pixellisation de l’image numérique du film en DVD, accentuée par un logiciel graphique !? François Boisrond aurait donc peint les images retravaillées sur ordinateur d’un DVD du film Passion de J-Luc Godard dont un héros tente de filmer la reproduction par des acteurs de célèbres tableaux de Delacrox, Ingres ou Rembrandt.
Mais à quoi bon reproduire ainsi des figures en peinture à l’ère des images numériques et avec une telle neutralité ?!
Reproduire n’est pas copier. Reproduire c’est forcément produire. Surtout quand il y a transposition dans un nouveau médium. La neutralité du geste laisse sourdre de la peinture la grâce d’une émotion. La neutralité laisse la peinture, l’art et la matière, révéler quelque chose de son mystère qui montre ainsi qu’elle surpasse toutes les techniques, et tous les discours. Surtout servie par la main d’un maître ; par l’âme d’un maître. Avec passion et discrétion. François Boisrond, « avec Passion » à la galerie Louis Carré, 10 avenue de Messine à Paris, jusqu’au 30 juin 2012. Très belle semaine à tous !

***Image : François Boisrond, 2012, Jeune fille nue assise au bord d'un bassin, acryl.t, 98x130

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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 11:03

La Pentecôte, c’est la fête de la création et la fête de tous les artistes… que nous sommes tous en puissance. Dans les deux récits de la Genèse soit le souffle de Dieu plane à la surface des eaux soit Dieu l’insuffle en l’homme qu’il vient de modeler. Nouvelle création, la Résurrection du Christ s’accomplit dans la diffusion de ce souffle Saint au-dedans des disciples et de toute chair.
Ouissi-Selma---Sofiane--2011--Laaroussa--projection-video-.JPGEt aujourd’hui où nous aspirons à un renouvellement du monde, à la réalisation de cette re-création acquise dans le Christ, l’art peut nous en transmettre de subtiles traces à effleurer de notre contemplation. Vous voulez des exemples ? Deux moments de grâce vécus récemment : l’un à la Triennale d’art contemporain au Palais de Tokyo, le second en découvrant au Jeu de Paume les œuvres d’une photographe décédée en 2003.
D’abord, une vidéo projetée ; elle montre un couple agenouillé côte à côte au sommet d’une colline, sur fond de ciel méditerranéen. Cheveux longs et noirs, mains souillées d’une terre rougeâtre, vêtus pareillement d’un jean, d’une sorte de tablier gris et d’un maillot : elle, rose vif, lui, d’un vert printanier, ils se livrent à un ballet de mains. La chorégraphie est réglée au millimètre et à la seconde. On reconnaît approximativement les gestes d’un potier ou d’un sculpteur en train de modeler. La bande son donne par moments à entendre le bruit de leur travail sur la terre et l’eau. Selma et Sofiane Ouissi, Tunisiens, ancrés dans la réalité d’une communauté rurale donnent à éprouver la beauté liturgique d’un fruit de la terre et du travail des hommes ouvert sur le ciel.
Au Jeu de Paume, des photographies noir et blanc de taille modeste, sobrement encadrées, montrent une alliance harmonieuse de corps avec leur environnement : comme toujours, des figures dans le paysge. Là, un ouvrier, les pieds dans le charbon, torse nu, en plein effort, semble pousser une benne cadrée en oblique. La photographie est carrée, indice d'un au-delà de l'anecdote. Son dos sculpté par la lumière en un camaïeu de gris ondulés se détache sur la froide rectitude du rectangle noir de l’engin. Son ombre noire se découpe sur le tas de charbon que le puissant soleil a rendu lumineux. Rencontres formelles discrètes qu’on retrouvera sur d’autres photos toujours tendres. Ombres et reflets nous y révèlent les secrètes harmoniques du quotidien. Eva Besnyö, d’origine hongroise comme Cappa et Kertesz, semble toujours caresser son sujet avec affection. Mais sans affectation : l’intelligence de ses cadrages et de ses compositions imprègne le sujet pour le servir.Besnyo-Eva--1931--Charbonnier--Epreuve-gelatino-argentiq.jpg
Vous pouvez à votre tour éprouver ces traces de l’Esprit Saint à l’œuvre dans la création contemporaine, et certainement bien d’autres, à la Triennale d’art contemporain, Palais de Tokyo et autres lieux jusqu’au 26 août et dans l’exposition Eva Besnyö au Jeu de Paume jusqu’au 23 septembre.
Images : *Ou
issi Selma & Sofiane, photo extraite de "Laaroussa", 2011, projection vidéo, couleur, son, 12min.
** 
Besnyö Eva, 1931, Charbonnier, Épreuve gélatino-argentique, 17,4 x 17,4 Collection Stedelijk Museum, Amsterdam, © Eva Besnyö, Maria Austria Instituut Amsterdam. 

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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 09:50

Pierre-de-Ying--socle-Hongnu--34x22-5x45-5cm--gal.Luohan.jpgUn jardin secret, c’est la part intime de soi qu’on se garde et qu’on n’ouvre à personne. Un espace clos, de petite dimension, où l’on se retrouve en connivence avec soi. La Chine en a fait un lieu réel de méditation où l’on se retire du monde. Des lettrés s’y consacraient à la poésie, à la philosophie et aux arts. Sans affaires, au lieu d’être « affairés sans rien faire » comme saint Paul le reprochait aux Thessaloniciens. Ce coin de jardin aménagé selon la symbolique du monde, deviendra peu à peu une pièce de la maison, un studio. On s’y doit au raffinement et chaque objet y sera choisi avec attention. Sous la dynastie Tang, au début du huitième siècle, apparait sur la table du lettré un rocher, figure sacrée de la montagne, socle du ciel, auquel il voue un attachement extrême.
L’exposition « Rochers de lettrés ; itinéraire de l’art en Chine » au musée Guimet vous offre la possibilité d’approcher cet univers plein de délicatesse et de sensibilité ; d’un raffinement souvent associé aux cultures asiatiques. Mais l’exposition éclaire aussi une constante universelle de l’art, de tout art, quels qu’en soient le temps et le lieu : le choix d’un regard sensible. Je m’explique. Probablement ramassé au cours d’une promenade dans la montagne, ce rocher relève d’un choix. Le promeneur lettré l’a ramassé pour sa forme, non pas décorative mais pour ce que - même grotesque - elle peut induire de méditation. Sur le chaos, et donc sur l’unique primordial. Il l’a ramassé aussi par une adhésion à sa seule présence, intuitive et inexpliquée. L’exposition « Rochers de lettrés » au musée Guimet invite à cultiver ainsi notre regard, ému de goûter une présence invisible dans un moindre objet ; et l’infini en de pauvres formes.Pierre-de-Wen--Chine--19-s.-socle-ebene-9-5x20x9cm.-gal-jpg
Enfin, pour honorer la pierre choisie, le lettré fait alors confectionner un socle adapté, souvent travaillé avec beaucoup de talent. Il peut aussi en faire réaliser une copie sculptée, ou une méticuleuse imitation dessinée. Mais l’art réside dans le choix de la pierre exposée plus que dans l’admirable travail de l’ébéniste, du sculpteur ou du dessinateur. L’art réside dans la relation singulière, intuitive autant qu’intelligente, entre l’homme et ce fragment évocateur de la Création tout entière. Cet aspect de l’art contredit notre attachement au savoir faire artisanal qu’il n’est pas question de mépriser mais de replacer à une juste participation-à-l’œuvre et donc au choix.
La galerie Luohan, 21 quai Malaquais dans le 6ème arrondissement expose régulièrement des pierres de lettrés. Mais là, jusqu’au 25 juin, c’est au musée Guimet, place d’Iena à Paris que se tient l’exposition « Rochers de lettrés, itinéraires de l’art en Chine ».

Images : * Pierre de Ying, socle Hongnu, 34x22,5x45,5cm.
** Pierre de Wen, Chine 19°s. socle ébène, 9,5x20x9 cm, photographies de Francis Rhodes extraites de deux catalogues publiés par la galerie Luohan, 21 quai Malaquais 75006 : "Formes du ciel" 2004 et "Evadé au pays des pierres" 2001. 

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14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 19:55

Monumenta-12.JPGÇa a du vous arriver de regretter que les musées transforment des retables en tableaux, et beaucoup d’objets religieux en œuvres d’art. Ça prouve que vous percevez l’influence capitale du lieu sur l’œuvre. Eh bien, ‘révéler la puissance d’un lieu’ c’est ce qui caractérise le travail de Daniel Buren. Et c’est la raison pour laquelle les œuvres de Daniel Buren ne sont pas d’abord faites pour êtres vues, mais pour faire voir. Vous connaissez la grande nef du Grand Palais ? Allez donc la voir en ce moment : la cinquième édition de Monümenta signée Daniel Buren va probablement vous en révéler des aspects insoupçonnés. Elle.est intitulée : « Excentrique(s) travail in situ ».
Dès l’abord du Grand Palais, un jeu de flèches marquées des célèbres rayures entraine dans un parcours, une traversée : billetterie, porte carrée à rayures, la pénombre d’un tunnel introduit dans la Grande Nef que vous devrez traverser. On vous prévient : « sortie de l’autre côté ». Alors, d’un coup vous entrez dans la lumière. Une formidable invitation au plaisir de jouir d’une place intérieure démesurée, non seulement par des sensations visuelles mais par la balade dans une sorte de forêt d’ombrelles bleues, orange, jaunes et vertes au manche noir et blanc. Et la déambulation renouvelle perpétuellement ce jeu des couleurs que la variation des disques colorés transparents projette sur le sol. Je me suis senti invité à …une respiration jubilatoire à l’ampleur du volume habité, particulièrement dans une clairière centrale qui ouvre directement sur la coupole colorée d’un damier bleu. Là, des disques de miroirs au sol m’invitent à jouer …à réfléchir.
Tiens, par moment ça parle ! En plein de langues. Monumenta 2012 - comme toujours avec Daniel Buren – fait passer la jubilation à la réflexion. Le jeu réjouissant des lumières et des couleurs obéit à une structure complexe en contrepoint de l’architecture. Le cercle en est le module. De cinq diamètres différents les disques de couleur forment une sorte de plafond « à taille humaine » qui modifie la perception des proportions du lieu, interface entre l’horizon des relations sociales et la verticalité ouverte au ciel, où flotte un drapeau rayé marqué d’un rond bleu. Entre intériorité et extériorité, en nocturne jusqu’à minuit, un savant jeu de projecteurs révèle une autre dimension de l’œuvre. Eloge de la verticalité, révélation, réflexion ; allez marcher un peu sur le ciel, la tête dans un vitrail. L’expérience sensible de cette cathédrale excentrique adressée à l’esprit universel pourrait inspirer une belle méditation à un chrétien. Ne vous en privez pas !
Monumenta 2012 - Daniel Buren, EXCENTRIQUE(S) - TRAVAIL IN SITU, Nef du Grand Palais à Paris, jusqu’au 21 juin 2012. S’y tiendront de nombreuses manifestations artistiques, littéraires, théâtrales et même du cirque.

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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 16:55

Venet-Chateau-Arnoux--chapelle-St-Jean-03.JPGMonsieur l’abbé en avait assez de monter à la chapelle saint Jean pour le pèlerinage du jeudi de l’Ascension. Le mobilier et même les vêtements liturgiques tombaient en lambeaux. Alors, une petite association enthousiaste s’est mise à chercher énergiquement des moyens financiers pour permettre une rénovation. Un solide premier mécène a attiré la confiance d’autres donateurs ; un artiste de la famille a été sollicité pour donner des conseils. Il donnera bien plus et s’engagera personnellement dans la réalisation d’un réaménagement total. La chapelle Saint Jean-Baptiste se trouve sur la commune de Château Arnoux et domine la vallée de la Durance. L’artiste se nomme Bernar Venet.Venet-Chateau-Arnoux--chapelle-St-Jean-11.JPG
Bernar Venet, oui, le dernier des artistes contemporains ayant exposé à Versailles. Bernar Venet le sculpteur internationalement connu, capable en 2009 à Venise d’investir un immense hangar de l’arsenal avec autant de monumentalité que de grâce.
A la petite chapelle Saint Jean-Baptiste de Château-Arnoux Bernar Venet reste fidèle à la dynamique de sa création toujours en dialogue avec l’acier chorten. Ce seul matériau brun sombre pour les bancs, l’ambon, l’autel et la croix du chœur crée une forte unité, très pure, très austère sur le fond des murs badigeonnés de blanc. Les vitraux blancs dépolis portent une calligraphie noire de la main du maître, ainsi qu’un oculus, une spirale.
Venet-Chateau-Arnoux--chapelle-St-Jean-01.JPGCette belle unité stylistique a pourtant un revers. Une telle réalisation totalisante très design paraîtra un peu décorative ; certains regretteront que l’autel et l’ambon traités exactement comme bancs et tabourets perdent en dignité liturgique ce qu’ils gagnent en cohérence formelle.
Mais ce qui attire le regard, c’est la Croix étonnamment appuyée en légère oblique au mur de l’abside semi-circulaire. Cette disposition inhabituelle lui confère une présence très forte, une proximité, quasi familière. La teneur symbolique de la Croix se trouve assimilée par la matérialité de l’objet ; en même temps que le métal et l’évidence de son poids démesuré évitent tout mimétisme.
Cette croix marque les mémoires et donne à l’œuvre de Bernar Venet une force saisissante qui, à elle seule, mérite un détour. D’autant plus que la petite association des Amis de la chapelle se met en quatre pour vous faciliter la visite. Vous trouverez les références sur http://www.gralon.net/tourisme/loisirs-culturels/info-les-amis-de-la-chapelle-saint-jean-chateau-arnoux-saint-auban-6053.htm

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1 mai 2012 2 01 /05 /mai /2012 08:31

1984--Buraglio-Ste-Victoire.JPGMaintenant, dans la culture contemporaine, l’Esprit Saint est à l’œuvre.
« L’heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est en esprit et en vérité qu'ils doivent adorer » dit Jésus à la Samaritaine. Et le Bienheureux Jean-Paul II l’écrivait aux artistes : « L'Esprit est le mystérieux artiste de l'univers…/…toute inspiration authentique renferme en elle-même quelque frémissement de ce «souffle» dont l'Esprit créateur remplissait dès les origines l'œuvre de la création. » Fin de citation. Mais pourquoi nous est-il si difficile de discerner l’Esprit saint à l’œuvre dans la création contemporaine ?
Evidemment, Dieu se laisse plus facilement identifier dans son Eglise qui est templede l’Esprit. De nombreux repères en marquent l’identité. Le temple est visible : symboles, chants, rites et images et parfois slogans permettent de le distinguer clairement. Mais Dieu l’Esprit Saint ne s’y laisse pas enfermer. Aucun temple, ni aucune définition n’emprisonne Dieu qui est esprit. Dans l’histoire du salut, le Saint Esprit se manifeste sous des figures qui toujours échappent : le feu, l’étreindre c’est l’éteindre ; l’eau vive et vivifiante ; le vent qui souffle où il veut ; et même un animal : la colombe si farouche ! Autant de figures évanescentes, toujours insaisissables… à moins de vouloir mettre la colombe en cage.
Eh bien, c’est ce souffle de l’Esprit créateur que nous cherchons dans l’art. Non parce que l’art le détiendrait –on ne peut faire de l’Esprit un détenu - mais parce que l’art nous offre la possibilité d’en éprouver de subtils frémissements. A l’insu. A notre insu et à l’insu des artistes, même de ceux qui l’invoquent. On aimerait savoir ! Retrouver de rassurants repères, des signes distinctifs : figures identifiables, références explicites, Mais le savoir encombre si souvent la grâce.
Il nous est difficile de discerner l’Esprit saint à l’œuvre dans la culture contemporaine parce qu’il requiert à la fois un effort de vérité et l’engagement croyant de notre propre subjectivité sensible. Comme un artiste chacun de nous doit travailler « sans filet ». Chacun est appelé à vivre cette expérience émouvante pour la pensée : éprouver les frémissements du souffle créateur au cœur de l’expérience esthétique, toujours à libérer des critères, des balises et des repères officiels… « Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est en esprit et en vérité qu'ils doivent adorer. »

* Pierre Buraglio, La sainte Victoire, d'après Matisse. 

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